Musée de Montans

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Il y a déjà plusieurs années que je m’intéresse  aux signes, au sens large du terme : lettres, chiffres, graphies de toutes sortes et de tous pays. Tout ce que l’homme a pu inventer pour communiquer, transmettre, conjurer
même. Parvenir à signifier quelque chose, depuis l’aube de l’expression graphique. Je trouve l’être humain touchant dans sa tentative de communication, avec l’immanence comme avec ses semblables, avec l’inconnu, le difficile à nommer, ou avec celui dont le nom doit être amputé de quelques voyelles. Les hommes face à la douloureuse, merveilleuse, complexe exigence du vécu, dans ce monde-là, à ce moment- là.

Suivant les époques, on les voit utiliser des signes tendant vers l’abstrait lorsqu’ils aspirent à cet idéal du divin, ou des lettres- dessins avant que l’écriture ne se soit suffisamment mise en place pour être abstractivée.
On voit des cultures refuser le figuratif pour parler à Dieu, d’autres au contraire se livrer à des BD fresques ou chapiteaux. On voit les signes qui servent pour dire les chiffres passer du monde arabe au monde européen et les chiffres indiens, qui d’ailleurs ressemblent pour certains à des lettres grecques, qui servent aux Arabes pour compter.

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L’engobe : explications concernant l’objet du musée qui a inspiré la série des 13 petits formats carrés.
Cet objet du musée m’a tout de suite attiré par son graphisme.
La série des 13 petits formats carrés, réalisée sur pâte de chaux et redéposée ensuite sur ciment dans un cadre en bois, a d’abord suscité quantité de croquis, tesselles de marbre et galets sous les yeux. Les noirs surtout. J’en avais des dizaines, du plus mât au plus brillant, du noir antimatière au noir grisé.
Quant à la terre, je vis dedans. Je nuance les teintes ensuite, en cours de réalisation, cherchant les reliefs, surfaces planes, creux et mouvements à l’aide de toute une palette.
Après tout, il s’agit surtout d’une recherche formelle.

Le tesson : je travaille sur les signes depuis des années, comment aurais-je pu laisser passer ce tesson ?
Les trois mosaïques réalisées d’après lui ont également été réalisées sur chaux puis reportées sur ciment.
J’ai utilisé pour l’une d’entre elles les lettres du tesson, ses fêlures et impressions en les délavant, comme si le temps les avait rendues illisibles. Puis j’ai proposé sur une autre des caractères latins en employant un mot grec tandis que la troisième mélange les signes de l’écriture ibérique et amazigh.

Un pictogramme chinois vieux de 4000 ans peut être le même signe que celui qui sert d’affirmation à l’identité berbère d’aujourd’hui. Dans ces conditions, je m’intéresse beaucoup moins à ce que disent ces signes qu’à leur existence propre. Je ne les ai jamais utilisés en tant que signifiés, et parfois même, je les ai inventés, ou brouillés, rendus illisibles, mélangés, à dessein.

Signes mais aussi formes accidentelles d’une nature jamais en mal d’expression poétique : la trace d’un serpent dans le sable, des tâches de rouille sur une vieille porte blanche et bleue, les traits nerveux d’une grille creusée dans la terre d’un rempart, les motifs en forme de tesselles des champs cultivés sur des pans en dévers. Les graffitis, les gravures rupestres, toute ligne au tracé pur s’élançant dans l’espace.

Il est possible qu’étant moi-même au carrefour de plusieurs cultures, je me sois sentie comme obligée d’apprendre très tôt à communiquer dans le plus de langues possibles, et ainsi mieux comprendre les gens et leur façon de réagir. Les mains- oiseaux des Italiens et le langage muet codé des Berbères. La façon de faire vibrer les lèvres contre les dents des Congolais, les différences de phrasé, les dialectes à n’en plus finir, l’accent, la parole tue, la volubile. Mais aussi l’écrit, le dévoilé- retrouvé de la parole archéologique. Toutes les façons qu’a pu trouver l’humain pour rester nu même quand il compose.

C’est pourquoi, lorsque l’Archéosite de Montans m’a proposé de m’inspirer d’un de ses objets en vue d’une exposition, et que j’ai découvert cet engobe au graphisme si absolu et ce tesson d’un bordereau d’envoi bourré de fautes d’orthographe, je n’ai rien dit, mais, tout en songeant à ces Gaulois insoucieux du latin, un sourire de tendresse aux lèvres, j’ai commencé à dessiner. Puis, la suite de l’histoire, entre les pages de ce catalogue…

Les galets, cadeaux de l’océan, la pâte de verre, le marbre, la terre rouge, furent mes matériaux de
prédilection. Taillant, débitant, tranchant, sectionnant à l’aide de martelines, enclumes et tenailles.
Certaines pierres, parole pure de cette terre, vers lesquelles je m’oriente de plus en plus depuis que j’y ai accès, dans le sud du Maroc où la vie comme la lumière sont si intenses, m’évoquaient un monde des origines où l’humain tâtonne encore dans la définition des statuts de la cité.
Il y a d’ailleurs, dans la production contemporaine de poteries de cette région du monde, de troublantes ressemblances avec des objets dûment répertoriés, datés et exposés dans les vitrines de l’Archéosite de Montans.

Page last updated on 7 mars 2010 at 5 h 03 min